Les prisons, un patrimoine négligé pour une mémoire nécessaire
La question de la destruction des prisons Saint Paul et Saint Joseph est beaucoup plus vaste que le « cas Perrache ».
En effet, la première question qui se pose est celle de l'invisibilité des prisons françaises sur le plan patrimonial. Echappant à tout classement (ce n'est pas ni un patrimoine civil, ni un véritable patrimoine militaire, c'est un simple patrimoine d'Etat), elles échappent également à toute reconnaissance.
Cette situation pourrait n'être qu'un manque auquel on pourrait remédier bien vite en prenant à bras le corps le problème de la protection des prisons lyonnaises, mais la décision est tout autre, comme le démontre le permis de démolir déposé par le ministère de la justice en date du 20 février dernier.
A l'heure ou le gouvernement se targue d'inventer la prison du XXIe siècle (dixit le ministre de la Justice, Mme R. Dati), il semble pour le moins étonnant de détruire deux exemples significatifs (et adjacents) de la manière de penser et de concevoir l'enfermement, et son évolution. Comment inventer la prison de demain si l'on met à bas celle d'hier ? Une réflexion, pour se nourrir et se renouveler, ne doit-elle pas s'inspirer des solutions mises au point par le passé ?
Ce refus d'envisager toute réflexion sur une réutilisation est choquant à bien des égards, alors que sont menées de grandes opérations de reconversion dans tout le pays, dont certaines sont des réussites exemplaires (pour prendre deux exemples dont l'achitecture peut se rapprocher de celle des prisons, je citerai le fort Saint-Jean à Lyon et le CNCS à Moulins sur Allier). On a souvent montré le dynamisme que pouvait engendrer la transformation d'un bâti ancien en y aménageant de nouvelles fonctions, pourquoi ne pas l'appliquer ici ?
La réponse est sans appel : les pouvoirs publics (la municipalité de Lyon comme l'Etat), l'épée de Damoclès du patrimoine, refusent d'envisager le problème sous l'angle patrimonial.
Il semblerait pourtant que la ville manquerait de capacités hôtelières où qu'elle déplorerait l'éloignement des facultés du centre ville (l'université Lyon II s'est montrée intéressée). L'occasion est inespérée, mais la volonté n'y est pas, peut-être à cause de l'image que véhiculent les bâtiments et leur déplorable réputation (notamment en matière de salubrité et de surpopulation)... A l'heure où l'on réinvente tout un quartier (l'aménagement de la confluence), il serait pourtant utile de garder quelques traces de l'histoire du quartier, afin d'évoquer sa mémoire, notion indispensable à la compréhension et la restructuration d'une ville.
N'oublions pas qu'elle est capricieuse, et qu'elle s'attache la plupart du temps, à des lieux et des monuments bien précis. Il serait fallacieux d'affirmer que l'on gardera l'empreinte des prisons dans la ville en envisageant leur destruction.
Or, bien qu'institution souvent considérée comme écoeurante mais nécessaire à toute société, la prison et les prisonniers ne constituent pas moins une page indélébile de l'Histoire, dont la mémoire doit être préservée et étudiée.
Il serait peut-être temps de cesser de se rassurer en regardant l'ensemble du territoire et en se disant que d'autres édifices peuvent être sauvés. On connaît les résultats déplorables de l‘attitude passive des pouvoirs publics en matière de patrimoine.
C'est ici et maintenant qu'il faut agir avant de voir disparaître ce remarquable exemple d'architecture que sont les prisons de Perrache !